Turquie La Turquie, ce flambant allie' de la @ de'mocrate @ Union europe'enne, est un Etat fortement militarise' et qui, comme d'autres Etats, n'a de de'mocratique que le nom. Le controle des militaires sur la socie'te' est crois- sant et constant, et la re'cente intervention au Kurdigtan irakien en est l'illustration. Re'sister est une t=E2che difficile et pleine de dangers. Osman Murat Ulke, objecteur-insoumis, membre de la Izmir Saras Karsitlari Dernegi (Association des re'sistants a la guerre d'lzmir), a pre'sente' la situation dans le journal libertaire de Bilbao Ekintza Zuzena@ Il a paru ne'cessaire au Monde libertaire de s'en faire l'e'cho, d'autant que depuis cette interview Osman Murat Ulke a e'te' arrete', comme nous l'indique un communique' de l'Union pacifiste de France, publie' ci-apres. L'UPF en appelle a votre solidarite' pour faire libe'rer ce compagnon antimilitariste, par ailleurs anarchiste. Bien e'videmment, la FA et le Monde libertaire s'associent a cette initiative. =20 Quelles sont les origines et les e'tapes du mouvement antimili- tariste en Turquie ? Au de'but, il y a eu deux objec- teurs en 1990, qui menerent une de'marche individualiste, sans appui organise'. Ils menerent une bonne campagne autour d'une revue qui dura un semestre et qui s'arreta, mettant fin au soutien. Durant l'e'te' 1992, les membres et publications anarchistes ont de'battu pour savoir comment mener une campagne sur l'insoumission et, en de'cembre, nous avons fonde' une association. Apres avoir e'te' interdite en 1993 et refonde'e en 1994, elle compte aujourd'hui 100 membres, dont la moitie' sont des femmes. Quelles sont vos strate'gies et positions ? Bien que notre association ait e'te' cre'e'e par des anarchistes, nous ne sommes pas ferme's aux autres sensibilite's. Notre de'marche est de cre'er des liens avec tous les groupes qui sont contre la guerre. Nous ne sommes pas des =AB purs =BB pacifistes, mais notre strate'gie est non violente. Nous sommes intervenus en diverses occasions sur les relations turco-gre'co-chypriotes, la guerre du Kurdistan, l'e'nergie nucle'aire, l'objection de con- @cience. . . Pourquoi avez-vous de'cide' d'adopter une strate'gie d'insou- mission ? Pour nous, le re'gime turc est militariste, ce qui conditionne toute la vie du pays. Un service de substi- tution ferait partie de cet e'difice, comme ce qui se passe en Europe. Depuis le de'but nous voulions devenir insoumis. Quel est le role de l'arme'e dans la socie'te' turque, dans la vie quotidienne et dans l'histoire ? L'arme'e fut un des principaux piliers de la politique expansion- avec la fondation de la Re'publique turque de Mustafa Kemal Ataturk (qui lui-meme e'tait un ge'ne'ral), l'arme'e a e'galement eu un role fondamental, qu'elle n'a plus jamais perdu. Apres les e'lections de 1950, il y eut trois coups d'Etat, en 1960, 1971 et 1980. Aujourd'hui, les militaires sont tres puissants et dirigent le pays a travers ce que l'on appelle le Conseil de se'curite natio- nale. Le service militaire dure 18 mois, et a en plus une valeur symbolique. Dans l'islam, tu es la moitie' d'un homme lorsque tu es circoncis, et tu deviens un homme a part entiere en allant faire l'arme'e. Ceci est partie prenante d'une culture machiste. Apres le service, tu dois travailler et former une famille pour etre un bon Turc. Un autre aspect de la Turquie, c'est la guerre au Kurdistan. Voila 11 ans que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a commence' la guerre, qui gagne en intensite'. Jusqu'a pre'sent, 20 000 personnes sont mortes et l'arme'e a beaucoup de difflculte's pour e'viter que les gens n'appuient le PKK. Ils ont ainsi tente' de diviser les gens en cre'ant des milices de =AB protection villageoise =BB, qui sont paye'es et arme'es pour de'fendre les villages e'tant d'attaquer le PKK sur ses bases, comme en Irak. Les militaires paraissent chercher une @olution de'fini- tive, mais pourquoi le faire maintenant, et pourquoi ne pas ravoir mise en oeuvre avant ? L'arme'e turque utilise des me'thodes brutales, spe'cialement depuis 1990. ns ont br=FBle' des forets et des villages du Kurdistan turc pour =AB nettoyer =BB. Malgre' cela, le PKK a un appui tres fort dans la population et on peut trouver ses membres dans presque toutes les maisons de cette zone tres monta- gneuse, ce qui rend la t=E2che difficile aux militaires. @ Que penses-tu de la position e' europe'enne et de celle de l'OTAN qui appuient l'autono- le mie kurde en Irak, mais la de'sapprouvent en Turquie ? Le Kurdistan est divise' par les frontieres de 4 pays: Iran, Irak I Turquie et Syrie, et il y a de nombreux partis et positions. L'arme'e ame'ricaine et l'ONU ont appuye' l'autonomie kurde en Irak mais cela ne signifie pas qu'ils le fassent en Turquie, parce que les attitudes des Kurdes irakiens a leur e'gard sont tres diffe'rentes de celles manifeste'es par les Kurdes de Turquie. De plus, cette autonomie en Irak ne signifie pas grand chose, et l'embargo contre Saddam Hussein affecte la situation e'cono- mique de l'autonomie, ce qui aboutit a une situation de guerre civile. En ce qui concerne la Turquie, l'arme'e peut compter avec toutes les armes qu'elle veut et l'OTAN gagne beaucoup d'argent en les lui vendant. Il y a des zones de limita- tion d'armes, mais elles se trouvent dans d'autres re'gions du pays. Quelles sont les positions du is mouvement antimilitariste dans cette situation et par rapport au PKK ? Il y en a plusieurs. La plupart d'entre nous ne pense pas que le PKK repre'sente la majorite' du peuple kurde, parce que ce parti repose sur les proprie'taires terriens de la zone, travaille avec les islamistes et le capital dans une alliance tres nationaliste. En voyant a leurs me'thodes, nous croyons que s'ils cre'aient un Etat, il serait dicta- torial, avec une assise socialiste qui n'est que rhe'torique. Nous prenons nos distances avec le PKK, mais nous ne le comparerons pas avec l'Etat turc, ce serait une grave erreur. L'Etat turc attaque les droits culturels du peuple kurde, et nous n'allons pas devenir pacifistes ou moralistes. L'Etat turc est le plus grand responsable de cette guerre, et ceci depuis longtemps. Qu'en est-il des problemes religieux avec les islamistes ou des conflits avec les ale'vites ? Les ale'vites sont une secte musul- mane tres progressiste, qui a eu de graves problemes avec les sunnites. Depuis la fondation de la Re'pu- blique, la majorite' d'entre eux se situaient dans une mouvance social- de'mocrate, appuyant le systeme la=EFque ke'maliste, pendant que les sunnites poursuivaient leur voie vers un Etat islamique. Voila pour le contexte historique, mais il y a une forte composante e'motionnelle. Par exemple, les sunnites disent que les ale'vites pratiquent l'inceste. C'est une folie, mais beaucoup de gens le croient. Les ale'vites ont en plus des problemes avec la politique de l'Etat, parce que la la=EFcite' n'est pas re'elle. Il y a des institutions religieuses domine'es par les sunnites, alors que la culture ale'vite est victime de discrimina- tions. Les fondamentalistes comptent beaucoup sur l'appui des faubourgs des villes. Beaucoup de .gens ont e'migre' vers les villes, et en perdant leur culture ne savent plus que faire ou quoi croire. Les @islamistes ont pris beaucoup de pouvoir et ont atteint les 20@o aux dernieres e'lections. Et cela va conti- nuer. C'est un probleme social plus que religieux. La base sociale se retrouve plus dans un me'contente- ment social que dans un fondamen- talisme ide'ologique impulse' par une minorite' dirigeante. .1Le mouvement antimilitariste le'gitime-t-il l'arme'e turque ? C'est @e qui se passe, mais pas par nos seules forces, mais aussi parce @qu'il y a une guerre et que les gens ne veulent pas y participer. En de'cembre 1993, il y avait 250 000 personnes qui n'avaient pas e'te' incorpore'es au service militaire. En 1994, il y a eu des essais pour les convaincre de le faire, mais seuls 60 000 s'y sont re'solus. Ce sont les chiffres officiels, mais nous croyons que le chif@re des re'fractaires est de 400 000. Un quelconque groupe tente @il de se servir du mouvement antimilitariste ? Ceux qui nous appuient nous respectent. Cela ne leur est pas facile parce qu'il y a des distances ide'ologiques, mais ils doivent recon- na=EEtre que nous existons (meme si nous sommes tres peu nombreux). D'autre part, les Kurdes se rendent compte que nous luttons contre l'arme'e turque. Ils nous appuient par pragmatisme, bien qu'ils aient de'ja tente' de nous utiliser pour le'gitimer leur lutte de libe'ration. Sans doute ont-ils vu que c'e'tait mauvais pour l'antimilitarisme et pour elL@, maintenant, ils e'voquent une lutte antimilitarist;e en Turquie occidentale, donc ils parlent de nous. Parlons de la gauche en Turquie. La gauche turque est tres petite. Elle a e'te' clairement ravage'e par le coup d'Etat de 1980. Entre 1980 et 1982, il y a eu 600 000 cas de torture. Des partis, syndicats et autres groupes furent interdits et n'ont pu re'cupe'rer leur influence passe'e. De plus, la gauche a des problemes pour changer et s'adapter a la nouvelle situation, tout en laissant ses dogmes de cate'. Il y a de nombreux petits groupes qui appuient encore l'ide'e de violence re'volutionnaire contre l'Etat, sans toutefois etre capables de mener a bien cette strate'gie. Et l'extreme droite ? Ils e'taient tres forts dans les anne'es 70, en re'action a la vague re'volutionnaire, et l'Etat les appuyait. Ils perdirent leur influence apres le coup d'Etat, bien qu'ils conservent un certain poids dans l'appareil d'Etat. Ces dernieres anne'es, avec le probleme kurde, l'Etat appuit a nouveau les fascistes pour renforcer l'esprit d'unite' nationale. Aujourd'hui, ils ont de nouvelles possibilite's pour diffuser leurs ide'es, avec l'appui des me'dias, et ils de'veloppent des attaques contre les e'tudiants, les syndicalistes, les Kurdes... Existe-t-il un mouvement anarchiste ? Il n'y a pas de mouvement anarchiste en Turquie. La premiere fois que l'on parla d'anarchisme, c'e'tait en 1986. Il y avait quelques revues, et maintenant nous voyons que la possibilite' de cre'er un mouvement a disparu, parce que les quelques-uns a se dire anarchistes ne sont pas tres se'rieux, et ceux qui le sont se retrouvent dans le mouve- ment antimilitariste. A part les revues, y a-t-il d'autres formes de re'sistance comme les squatts, la scene musicale... Squatter en Turquie est impos- sible. Meme si tu occupes un logement le'galement, la police peut entrer chez toi si les voisins pre'ten- dent que tu es un terroriste. Il y a eu des tentatives pour former des communes libres ou des formes alternatives de travail, comme l'artisanat du cuir, pour financer des groupes, mais tous ces projets ont e'choue'. Aujourd'hui, il n'y a rien. Que peut-il se passer en Turquie dans les temps a venir ? Dans un proche avenir il y a plusieurs dynamiques, dont l'une est celle des islamistes, qui s'affron- tent a@ec l'arme'e qui est la=EFque et inflexible. Puis il y a les Kurdes avec leur lutte nationaliste. Autre dynamique, celle du Capital qui voit que ses relations s'ame'liorent avec l'Europe, ce qui pourrait amener une demande de meilleure image de marque dans le domaine des droits de l'Homme. Autre dynamique, celle des fascistes, chaque fois plus forts. Aucune d'entre elles ne mene a la liberte'. Le futur est sombre. Entretien extrait et traduit de Ekintza Zuzena (Bilbao), n=B0 17